Nous voici en Albanie. Choc culturel, ou chocs tout court car les trous dans la route (qui rappelle la Belgique… en pire tout de même) font la part belle aux amortisseurs.
Première image, premier contraste, on arrive à Shkoder, de l’autre côté du lac de Skadar, limitrophe avec le Montenégro. La ville est tout à l’opposé de la capitale de ce dernier (Podgorica). Ici les supra-centre-commerciaux sont remplacés par des petites échoppes aux dix produits disposés sur le trottoir ; les voitures garées n’importe où donnent le change aux vielles Mercedes aux 500.000 bornes et les charrettes tirées par des chevaux maigrelets offrent un spectacle d’avant-guerre.
L’Albanie, c’est un pays qui nous intriguait, sa réputation est plutôt bipolaire. Il y’a deux clans en réalité, ceux qui n’y ont jamais été et ceux que les voyages ont fait traverser ce pays aux rumeurs peu fameuses. Les premiers nous mettrons tous en garde : attention, le pays est malfamé, c’est une contrée de mafioso, de vols de voitures, de brutes sanguinaires et j’en passe. Les seconds quant à eux nous encouragent les yeux fermés à aller découvrir ce pays d’un autre temps, dont la beauté est pristine car encore peu explorée et la générosité sans égale.
Qui croire ? à qui donner raison ? on le découvrira bien assez tôt par nous-même. Et par assez tôt, je dois dire que notre premier arrêt sera à l’image de notre voyage par là-bas. Nous nous arrêtons à Shkodër donc, le regard plutôt affûté et aux aguets, ayant des doutes. Trouver une place pour le camion n’est pas toujours aisé (quoique en réalité ça ne pose pas souvent problème) mais le laisser tout seul dans une ville apparemment très pauvre et dans un pays dont la réputation n’est pas élogieuse est toujours un peu particulier.
Nous trouverons une rue plutôt calme et une place en face d’un café, c’est un peu loin du centre, mais l’agitation de celui-ci ne convenait pas à un créneau genre zig-zag rapide. Le café, c’est top, il nous permettra de choper du wifi et de regarder sur le net ce qu’on doit voir dans cette ville. On y rentre, commande tant bien que mal à la barman, qui nous apporte nos cafés et nous inculques nos premiers mots d’albanais. On y dit par exemple “falemenderit” (phonétiquement) pour dire merci … et oui au début ça surprend mais on s’y fait.
La surprise se fait lorsqu’on va prendre le large et demande l’addition… En effet, pas d’addition, la tenancière nous offre le café ! C’est bien la première fois qu’on va dans un commerce pour y acheter quelque chose et que celui-ci nous offre son gagne-pain !
Ceci-dit, la ville n’a pas grand chose à offrir d’attrayant, on visitera tout de même le musée de la photographie et les rues du centre avant de se diriger vers la capitale : Tirana ! ♪ Welcome to Tirana, tequila, sexo y marijuana ♫
La route se fait de nuit, quelques appels de phares, on règle le notre et ça va mieux. Concernant la façon de conduire là-bas, je ne vais pas m’étendre de long et large et simplement reprendre une citation d’un autre blog de voyageurs qui a bien raisonnée dans nos oreilles à chaque trajets : “Conduire en Albanie, c’est comme jouer au poker et faire tapis à chaque virage“…
Anecdote sympa, ici le mot “voiture” à longtemps été remplacé par “Mercedes”, en effet toutes ces vielles allemandes remplissent les rues du pays. C’était à l’époque les seules réputées assez solides pour résister à la rudesse des routes albanaises. Il faut dire que le service des voiries n’est pas des plus actif dans la contrée. Le réseau routier n’étant d’ailleurs qu’à moitié asphalté. Question piège : une route asphaltée pleine de trous est-elle meilleure qu’une piste peu entretenue ? On a bien une idée mais on vous laisse y répondre.
Tirana est tout le contraire de Shkoder, en tout cas l’ultra-centre car la banlieue est à l’image du reste du pays : pauvre et désordonnée. Le centre-ville de la capitale par contre, c’est le spot des expats, des quelques touristes et de ceux qui ont réussis (on sait pas trop comment). Des bars dans tous les sens, plutôt dans le genre strass et paillettes avec le prix qui va avec (ça reste bien moins cher que chez nous mais par rapport au reste du pays, ça dénote). On y rencontrera Elion, LE type qui sait de quoi il parle en terme d’escalade dans le pays vu qu’il a équipé une bonne partie des voies et ouvert la seule salle de bloc des 28 000 km² de l’Albanie. Bon ça reste pas des masses mais la volonté est là, les moyens moins car les points coûtent chers et les finances ne suivent pas. Mais la communauté s’agrandit, l’international s’intéresse aux belles parois et certains sites se développent. On visitera deux d’entre-eux, tout d’abord Bovilla, aux portes de la capitale. Bon, en km c’est pas loin, mais vu la piste, il faut tout de même une bonne heure et demie à slalomer entre flaques et bosses. Bovilla, c’est avant tout le réservoir d’eau qui alimente toute la ville. Un grand barrage qui crée donc un lac artificiel et une rivière qui s’en échappe en aval, parsemée de cuvettes qui offrent de superbes piscines en été. La saison ne s’y prête pas mais le décors est tout de même splendide, la vue sur les montagnes enneigées au loin et le miroir d’eau valent le coup rien qu’à eux-mêmes. Niveau grimpe, deux secteurs, l’un côté lac, orienté nord, plutôt facile (jusqu’à 6b). Superbe vue mais un peu froid en plein décembre. L’autre, juste de l’autre côté de l’arrête offre de superbes colos face sud vers le canyon et la rivière. Les difficultés passent un niveau et on trouve des voies dures et très esthétiques. Malheureusement, les colos n’aiment pas la pluie et les résurgences ne nous permettent pas d’y grimper non plus… il faudra revenir ! On fait tout de même une belle randonnée le long du lac, le potentiel d’escalade est énorme, et les endroits de bivouacs regorgent. Tous les foyers de feux de camp témoignent d’une activité bien différente et bien festive lors des beaux jours. En redescendant, on croisera quelques couples ou groupes d’amis style bobo, talons et bottes de cuir venus affronter la piste avec leur Merco ou leur 4×4 pour l’un ou l’autre selfie au bord du lac. Ca contraste avec l’esprit du lieu mais ça agrémente les réflexions au niveau folklo.
Le deuxième site, on en parle plus loin, car avant d’y aller, on a rejoint nos copains auto-stoppeurs rencontrés à Hvar en Croatie (ici). Ils sont à Elbasan, ville un peu plus au Sud-Est chez un hôte couchsurfeur “super sympa et qui nous propose un super plan dans une maison de village dans les montagnes“. Nous qui pensions tout d’abord tracer le pays en trois jours, commençons à penser y rester un peu plus longtemps. Nous arrivons à Elbasan et rencontrons Edoart, un albanais qui gère une petite auberge/dortoir/camping en été, et offre les lits en couchsurfing toute l’année ; plutôt sympa ! On passera un bon moment avec lui, sa copine italienne, Anaëlle et Rémy. Fun fact, Edoart, albanais, et sa copine, italienne, parlent en français ensemble (nous aussi du coup). Tout ça nous permettra d’apprendre plus sur la culture albanaise, notamment le fait que les seuls mafieux qui sont encore là sont les mauvais et le gouvernement en qui personne n’a réellement confiance ; les bons sont partis à l’étranger, là où il y a de l’argent. On apprend aussi que pour les albanais, le fait de venir dans leur pays est le plus grand des honneurs, ils “vénèrent” en quelque sorte les touristes, qui sont encore peu à passer la frontière récemment ouverte après des années d’autarcie. Un pays qui s’ouvre peu à peu, qui apprend à vivre dans la mondialisation et s’est vu catapulté dans un système capitaliste avant d’avoir pu comprendre tous les rouages du socialisme… de quoi trainer quelques fardeaux politico-organisationnels. On en profite également pour goûter certains mets locaux tel la Bugatsa, un pain beurré, cuit au beurre et au beurre. Plein de calories pour quelques leks.
Edoart possède une maison de famille, ou plutot un chalet haut perché dans les montagnes, pas loin d’un village isolé. Brochure à l’appui, il nous raconte que des français y ont séjourné un an, tombés amoureux du lieu, et qu’avant, il servait même de site de villégiature : cabanes, restaurant, jeux extérieurs etc. Tenu par un autre français et baptisé “La Vie Nomade” pendant 7 ans. Il cherche un repreneur – gratuitement – c’est sûr et même si on ne se sent pas l’âme casanière on se laisse tenter par l’expérience “into the wild” pour quelques jours. Après une longue piste en première, on arrive au lieu dit. Petit coup de nettoyage et allumage du feu de bois. Dehors, l’eau est gelée et la température bien en-dessous de zéro. S’en suit une discussion passionnée plus que passionnante concernant la condition de la femme et le role de la famille dans nos sociétés sur ces points fort différentes. Edoart nous quitte au petit matin et on découvre les environs lors d’une bonne rando. Il m’a demandé de regarder si certains rochers des environs seraient exploitables pour l’escalade, malheureusement, ça vaut vraiment pas le coup !
Générosité albanaise, on traverse le petit village, ou en tout cas un petit regroupement de maisons lorsqu’une vielle dame nous interpelle, on ne comprend pas grand chose mais elle nous offre moulte Kaki’s, ces fruits qui part chez nous se font rares et sont ici comme le blé dans les champs. On ne sait plus où en mettre, nos poches débordent ; “falemenderit“.
L’expérience nous laissera un superbe souvenir mais le voyage nous appelle. Si jamais vous cherchez un projet et un endroit loin de tout , avis aux amateurs, vous êtes les bienvenus !
Après ces quelques jours en montagne, on pensait revenir vers le chaud… mais c’était avant qu’Anaëlle et Rémy nous partagent leurs plans d’aller voir le lac Ohrid, en passant la frontière Macédonienne. On est pas si loin et ça a l’air sympa, on se laisse donc emporter. Enfin on les emporte plutot avec nous. Les nuits froides les pousserons même à utiliser notre chambre d’amis – l’avant du camion – pendant plusieurs nuits. Notre cher van fait donc couchage pour 4 !
Fun fact, en allant vers le lac Ohrid, lac de montagne, toute la route ascendante du côté Albanais est remplie de laveurs de voiture ; inside-out pour 1€50 ! Ils s’affichent clairement en pointant leur tuyau vers le ciel. L’eau vient droit du lac et est donc gratuite, ce qui permet ces jeux de fontaines offerts au voyageur – un petit Versailles couleur locale. Il faut dire que lorsque les albanais sont sortis du communisme, les trois commerces qui se sont lancés à grande échelle étaient : caféiste, pompiste ou gérant de car-wash ; faut que ça brille une Merco !
Mal nous à prit, même si le camion était bien sale, nous voulions profiter de la fin de journée pour aller voir le lac de jour. Pas de nettoyage pour nous cette fois-ci. Choix finalement regretté car le passage frontière nous a pompé tout le temps solaire restant… un vrai addict de la fouille, le mec a tout fait : caméra-cable, chien renifleur, tournevis, camion monté sur pont levant pour vérifier ses dessous,… pff le plus pénible qu’on ai eu du voyage !
Côté Macédoine, on a visité la ville d’Ohrid, parcouru le flanc Est du lac et on a même tenté l’expérience d’une rando glaciaire hivernale en mode white-out pour le sommet. En gros, on marche vers un sommet sans le voir, on pense y être, on check le gps, c’est pas là. On y arrive finalement, on fait rapidos une photo sommitale où on voit rien autour, on prend la boussole et on trace tout azimut pour redescendre sous les nuages avant de finir en glaçon. Amusant avec de la neige jusqu’aux hanches parfois, un peu mouillé mais au moins on a vécu une belle aventure !
Retour vers le plancher des vaches. On repasse déjà la frontière vers l’Albanie après un bon plein à 0.90€ le litre, il est pas si mal ce pays ! [en Albanie, bien qu’ils soient producteurs de pétrole, le prix est le plus haut des Balkans, autant vous dire qu’on y pas fait une station]. Le reste de la Macédoine se doit d’être magnifique, mais pays montagneux, il faudra également revenir dans des temps plus cléments.
On arrive sous le lac, côté albanais donc à la ville de Pogradec. Ici, fête du vin, on se fait offrir une brochette et un verre, on profite avec plaisir de la chaleur des grands brasiers allumés pour l’occasion avant de continuer notre route, c’est bientôt Noël et on a rendez-vous à Girokaster pour l’occasion.
En chemin, après quelques heures de routes bien cabossées, on s’arrête au milieu d’un champ pour la nuit. Réveil aux petites heures pour préparer de super pains-perdus quand une petite vielle vient vider sa bassine d’ordure dans la rivière ; classique par ici. Elle repart, et revient chargée de pommes et de noix en nous invitant chez elle. Je laisse à votre imaginaire le dialogue de sourds, gestes et carnets de dessin à l’appui pour comprendre tout ça. On est au centre même de la culture locale, on ne peut pas refuser. On termine tout de même notre petit déjeuné avant de se diriger dans son foyer. Sobrement aménagé, son mari et elle utilisent en hiver cette petite-pièce adjacente au garage car elle dispose du gros poêle de fonte qui offre une chaleur inespérée. Mais il ne sont pas peu fiers pour autant de nous montrer leur réelle maison, juste en face, crépis violet récent, maison 4 façades, on se croirait presque en Alsace.
L’accueil et la générosité albanaise est ici à son paroxysme, car entre albums de photos de leurs enfants dont ils ont l’air bien fiers également, surtout leur fille mariée à un italien. Ils nous offrent tout bonnement : du Limoncello (il est 10h du matin), des biscuits et friandises, des noix et noisettes, des coings, des pommes de fertilité pour les filles et une tournée de raki car j’ai le malheur de me moucher (il est toujours 10h du matin..). Toutes ces denrées matérielles pour des gens qui ne semblent avoir que peu, mais surtout une gentillesse exceptionnelle.
On prend finalement congé car il nous reste quelques heures de route, après avoir tout de même été voir le gros camion et la jeep du Monsieur qui les garde bien dans son garage (dont certaines poutres ont été entaillées pour que le camion y rentre..).
Quelques kilomètres avant Girokaster, on s’arrête tout près de la petite de ville de Permet, connue pour son gros caillou en son centre, son vieux pont mais surtout ses eaux thermales. A dix minutes de là : Lengarica, un superbe canyon aux parois raides qui s’étend sur plusieurs kilomètres. Le paradis des touristes d’été qui le parcours pieds dans l’eau pour y découvrir sa beauté avant de revenir plonger entièrement dans le bassin d’eau sulfurée à 40° aménagé près de l’entrée. On choisira cependant l’option visite panoramique en faisant une randonnée qui longe tout le canyon d’un côté puis de l’autre, mais d’en haut seulement ; l’ombre et l’eau du fond des gorges inspirent peu en décembre. Cependant, le bain de souffre lui, on n’y manquera pas histoire de relâcher nos muscles endoloris après ces longues heures d’effort et apprécier le coucher de soleil sur les montagnes enneigées.
Noël donc. On le passe à Girokaster, perdue dans les montagnes également, cette ville d’assez grande importance est le fief de la province et est surmontée d’une grande forteresse qui a vu toutes les époques se succéder. On y retrouve des vestiges du Moyen-Age, des canons de la première, des chars de la deuxième et des avions de la guerre froide. L’entrée gratuite pour Noël nous a tous fait sourire.
Le réveillon quant-à-lui fut bien festif comme il se doit. Nous étions huit personnes, 4 couples d’horizon divers à partager un repas copieux. Nous avons en effet rejoint l’appartement d’un Néo-Zélandais : Jade qui est venu s’établir là-bas pour être au côté de sa fiancée elle-même albanaise et rencontrée on-line. Se sont jointes à nous Moni et Stefi, deux allemandes qui parcourent la côte adriatique depuis l’Allemagne à vélo ! On se paire et on prépare entrée, plat végé, plat viandard et dessert pour tous avant de dévorer tout ça et de finir la soirée à jouer au Wanted.
La digestion effectuée, nous repartons vers la côte, où nous attend le soleil et des cailloux – en manque de grimpe peut-être… En chemin on s’arrête à “l’œil bleu”, un phénomène naturel de rivière souterraine qui ressort en créant un tunnel de plus de 50 mètres de profondeur et qui ressemble étrangement à une pupille… selon les panneaux du moins. Le plus étrange est l’état du site qui, sur des photos antérieures retrouvées sur internet paraissait complètement aménagé, avec petites terrasses sur l’eau et tavernes pour touriste. De tout cela il reste des ruines, des débris et des morceaux de faïences. Un cahot peu compréhensible.
La dernière destination de notre périple albanais se nomme Gjipe et ce sera notre coup de cœur du pays. En effet, c’est une plage de sable fin, orientée vers l’Adriatique et située à la fin d’un canyon de roche rouge-ocre qui offre des voies d’escalade variées, longues et spectaculaires. Le cadre est magique, c’est pourquoi un petit camping de hippies s’y est installé. Peu de monde en cette saison mais le soleil est au rendez-vous, le t-shirt peut même tomber pour grimper. On accède à la plage via un sentier qui offre une vue sur toute la côte sud, la piste étant trop mauvaise pour le camion. Mais ce panorama et le bivouac super juste au-dessus valent bien la marche. On s’y sépare de nos copains qui repartent en stop pour d’autres aventures pendant qu’on profite de cette escalade entre plage et rocher.
C’est sur cette note de soleil couchant, perdus dans un monde merveilleux, l’esprit plein de la générosité et de l’accueil des albanais, qu’on quittera ce pays où 3 jours se sont transformés en 3 semaines pour se diriger vers la Grèce et y vivre le début d’une nouvelle année.